Entretien avec Marc Cagniart
Me Marc Cagniart, notaire à Paris et président du 115e congrès des notaires de France, évoque les enjeux de ce rassemblement.
En quoi le 115e congrès des notaires de France marque-t‑il une rupture dans l’histoire de la corporation ?
Il entérine l’internationalisation de la profession, et se tiendra pour la première fois hors de nos frontières, dans la ville symbole de Bruxelles. C’est le plus vieux congrès professionnel au monde, sa première édition datant de 1891, et il nous paraissait évident de le délocaliser dans la capitale européenne. Pendant quatre jours, tous les travaux seront consacrés au droit international privé, et le livre blanc de près de 1.400 pages qui y sera présenté sera intégralement traduit en anglais et édité en version numérique, c’est là aussi inédit. Aujourd’hui, la France est un porte-étendard dans le paysage notarial mondial, du fait de son ancienneté et de sa capacité d’adaptation.
Quels sont les grands enjeux de ce congrès ?
Il y a aujourd’hui une compétition mondiale entre les systèmes économiques, politiques et juridiques, qui repose notamment sur la façon de régler le problème du droit immobilier, de la famille et des sociétés. Les pays de droit anglo-saxon tentent de faire pencher la balance en leur faveur, et notre enjeu est de faire la promotion de notre droit, le droit latin, continental, qui est intrinsèquement lié à l’existence du notaire. Le système notarial français fonctionne, les Chinois l’ont même adopté! Un centre notarial a ouvert à Shanghai et on compte 20.000 notaires en Chine. L’Asie entière bascule peu à peu vers le droit continental, les pays de l’Est l’ont adopté après la chute du mur de Berlin, et tout le monde regarde vers l’Afrique. Tous les notaires de la planète sont conviés à Bruxelles, où nous allons montrer que la profession a un rôle à jouer dans le monde de demain, aussi bien dans l’intérêt du citoyen que dans celui des États. Le notaire a une place à part dans la société : il conseille les clients et préserve les droits de l’État en collectant l’impôt juste. Il est à la jonction des sphères privée et publique, son avis est important.
Qu’a changé l’extranéité dans le monde juridique et notarial ?
C’est une révolution. On compte aujourd’hui plus de 2 millions de Français expatriés à l’étranger, un chiffre qui a bondi de 28 % en dix ans. Un mariage sur sept est mixte, 40 000 jeunes font des études à l’étranger, un retraité sur dix vit en dehors de nos frontières… La matière juridique a forcément évolué au fil des changements sociétaux profonds. Il a fallu tout revoir, la base et les méthodes. Pas facile quand on sait que l’âge moyen des notaires est de 47 ans ! Le travail du notaire est triple : il faut qualifier, rattacher et authentifier. Avant, le droit international privé était considéré comme savant, élitiste, chantre de la jurisprudentialité. Aujourd’hui, il fait partie du quotidien des notaires, tout comme les règlements de l’Union européenne.
Quelles sont les grandes évolutions du droit international et plus précisément du droit européen ces dernières années ?
On peut citer en exemple l’entrée en application en janvier du règlement européen sur les régimes matrimoniaux, signé par 18 pays de l’Union. C’est un règlement qui s’inspire des règles existantes de nationalité et de résidence. Ce qui change, c’est la liberté de choix : si un Français épouse une Grecque à Bruxelles, le couple a le choix entre trois lois. Le notaire doit avoir la capacité de présenter les différentes options. Il faut qualifier chaque situation puis s’appuyer sur les outils que sont les textes, souvent rattachés à des conventions bilatérales. Autre exemple, en matière de droit de succession : un Finlandais décide de prendre sa retraite en Paca et y décède : la succession est réglée par le droit finlandais. Grâce à l’Union européenne, la matière est simplifiée. Avant, on s’appuyait sur la jurisprudence, c’était compliqué, on appelait ça le "droit des broussailles"!
Y a-t-il un effet Brexit sur le droit européen?
Il est limité, car les Britanniques étaient déjà en dehors des règlements, en vertu du droit anglo-saxon. Le vrai changement se constate en matière de mobilité : on table sur 20 000 familles qui vont rentrer en France, ce qui peut jouer sur une hausse des prix immobiliers.
Quelles conséquences a l’internationalisation du droit sur la fiscalité?
C’est l’un des thèmes phares du congrès, et une préoccupation majeure pour les citoyens confrontés à l’investissement immobilier ou à la donation. Le maître mot du côté des notaires est l’anticipation! Nous devons jouer avec de multiples conventions fiscales internationales, et les situations d’extranéité apportent de la complication. Par exemple, si un père envisage de léguer sa maison de l’île de Ré à ses trois enfants et que l’un d’eux vit en Australie, le notaire a pour rôle d’enjoindre au fils de se renseigner dans son pays de résidence. Certains droits s’appliquent aussi conjointement, comme dans le cas d’un Allemand qui vit en France et qui hérite d’une cousine allemande : les deux codes fiscaux seront appliqués. L’un des enjeux du congrès est aussi la formation et l’éclairage sur les solutions sur mesure que doivent apporter les notaires aux citoyens.
l’Europe du droit existe-t-elle, à vos yeux?
Je parlerais plus d’une Europe d’harmonisation du droit, et surtout pas d’uniformisation. La matière est riche, et nous devons respecter les cultures juridiques de tous les pays de l’Union. Je ne crois pas à un Code civil européen, le Vieux Continent est chargé d’une histoire forte dont on ne peut s’affranchir. Je rêve que la devise de l’Europe soit respectée : "Unis dans la diversité."