QUELLES VILLES DEMAIN ?
– LE sujet à la mode. – La ville de demain est l’objet de tous les fantasmes. Elle figure dans les premières lignes de la liste des sujets les plus traités du moment, comme le point de rencontre de deux thèmes majeurs : la ville et le futur.
La ville concerne une multitude de personnes et intéresse même ceux n’y résidant pas. Cette curiosité s’explique aisément par le côté protéiforme de la cité, pouvant être abordé sous un nombre impressionnant d’aspects différents : son positionnement géographique, sa population, son attractivité économique, etc.
Quant à demain, cet inconnu a toujours fait peur ou rêver. Il est envisagé sous toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, selon l’optimisme ou l’imagination de chacun.
Indépendamment l’un de l’autre, les deux concepts de ville et de futur sont séduisants. Assemblés, ils deviennent LE sujet à la mode.
– Une multitude d’approches différentes. – Mais comment l’aborder ? Imaginons que les différents thèmes propres à la ville soient des unités s’additionnant en un nombre ayant pour exposant la somme des visions du futur de chacun. Il en ressortirait une quasi-infinité de perceptions différentes de la ville de demain. C’est pourquoi, comme attirées par une lumière envoûtante, tant d’intelligences venant de tant d’horizons différents convergent vers les rives de la cité telle qu’elle s’imagine dans l’avenir. Des artistes de l’image colorent leurs pellicules ou leurs tableaux de descriptions futuristes d’immeubles de hauteur immense. Des écrivains noircissent leurs feuilles d’une littérature avant-gardiste si dense qu’elle semble se compter en mètres cubes de papier plus qu’en pages. Des architectes et des urbanistes inventent de nouveaux espaces. Des philosophes et des politiques, des géographes et des économistes, des journalistes et d’autres, une multitude d’autres, travaillent inlassablement sur le thème, tous porteurs d’une vision personnelle de la cité de demain.
– De la prospective à l’humilité. – Fort de ce constat, il peut paraître présomptueux pour le notariat de prétendre se mêler à ce flot d’érudits et tenter d’évoquer doctement la ville du futur. Non pas qu’il faille dénigrer le savoir de la profession sur le fonctionnement des communes. L’expertise quotidienne des notaires les autorise à quelques ambitions s’agissant de la connaissance des pratiques immobilières ou urbanistiques. Les liens réguliers avec la clientèle des études, et notamment avec les élus des collectivités locales, légitiment également la défense de certaines idées concernant l’évolution des agglomérations.
Non, ce n’est pas cela qui est effrayant quand on aborde un tel sujet : c’est l’absence totale de certitudes quant à ce que sera demain ; c’est la dépendance incontournable à de la vulgaire prospective.
Il suffirait qu’un savant génial invente une machine capable d’annihiler les distances et accessible à toutes les bourses pour que la ville perde une immense partie de son utilité. Plus réaliste mais moins gaie, une rupture de la chaîne d’approvisionnement des villes en nourriture ou en eau potable bouleverserait totalement l’ordre presque immuable de cités toujours plus peuplées au détriment des campagnes. Les conséquences seraient similaires à celles d’une maladie contagieuse et létale au point de vider les bourgs de leurs habitants à la recherche d’un isolement salvateur. Il existe tellement de scénarios susceptibles de modifier les équilibres instables des aires urbaines dans le temps que l’humilité est de rigueur dans ce travail de prospective.
– Le devoir d’essayer. – Mais si ce changement permanent évoqué par les philosophes n’a pas lieu de manière brutale. Si au contraire il suit la courbe de l’évolution prévisible des choses. Alors, n’avons-nous pas le devoir d’essayer de les faire bouger dans le bon sens ? Albert Einstein prétendait que "nous aurons le destin que nous aurons mérité". Si cela est vrai, le notariat ne doit-il pas apporter sa pierre à l’édifice de la ville de demain ? Cette ambition peut même être étendue aux contrées moins peuplées, pour devenir une étude du futur de l’ensemble de nos terres habitées. En effet, les flux migratoires vidant certains espaces pour en remplir d’autres méritent d’être analysés et compris, indépendamment de la densité de population du point de départ ou d’arrivée.
Au vrai, les congrès des notaires œuvrent déjà sur le sujet depuis longtemps. Lorsqu’il y a dix ans, le 104e Congrès s’était penché sur "Le développement durable : un défi pour le droit", il visait nombre de thématiques concernant la ville de demain. Il en est de même du 112e Congrès, abordant en 2016 "La propriété immobilière : entre liberté et contraintes", ou du congrès de Lyon de 2013 sur les "Propriétés publiques : quels contrats pour quels projets ?"
– Villes compactes, villes étendues. – Il est illusoire d’espérer faire prospérer sa pensée sans s’appuyer sur le travail des connaisseurs des bourgs de France. Un chapitre liminaire est ainsi consacré à diverses réflexions sur les villes d’aujourd’hui, s’appuyant, une fois n’est pas coutume, sur des perspectives sociologiques, sociétales et écologiques n’émanant pas forcément de juristes. Ne pas les aborder pour se focaliser uniquement sur l’urbanisme, le droit de la construction ou de la copropriété, reviendrait sans doute à chercher des solutions à un problème n’ayant pas été correctement posé.
Ces réflexions ont pour objectif de nous faire comprendre les ressorts de l’évolution des cités. Mais elles auront pour conséquences de nous faire quitter le singulier de la "ville de demain" pour lui préférer le pluriel des "villes de l’avenir". Car il est impossible de traiter toutes les villes de la même façon, dès lors qu’elles rencontrent des difficultés différentes. Les moyens d’action proposés varient selon qu’ils s’appliquent à l’une ou l’autre des deux grandes catégories de cités : les villes compactes et les villes étendues.
Extrait de l'ouvrage "Demain le Territoire", parution en avril 2018. Auteurs : Christophe SARDOT, notaire à Lyon et Antoine TEITGEN, notaire à La Chapelle sur Erdre.
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